Fajro
Bettina Samson

Fajro
Bettina Samson

Vernissage le samedi 6 février 2016
de 18h30 à 21h
Exposition du 6 février au 15 mars 2016
Centre céramique contemporaine La Borne
Télécharger le livret de l’exposition

Fajro, signifie “feu” en Espéranto, langue équitable établie pour faciliter la communication entre des personnes de nations différentes. Sa sonorité “faïro” trouve des consonances avec de nombreuses langues européennes: fuoco, fuego, fire, feuer, fogo dont les multiples échos véhiculent l’idée du partage des langages. Cette utopie appliquée se situe non loin des expériences que Bettina Samson a développées pendant l’année 2015 en collaboration avec Lucien Petit et Hervé Rousseau, céramistes avec qui s’est établi un partage des savoirs et des gestes, une mise en commun des connaissances dans la conception de plusieurs séries de pièces.

Installés dans le quartier de Boisbelle à Henrichemont, les deux céramistes ont ménagé des temps d’immersion individuels à Bettina Samson qui souhaitait s’imprégner de leurs univers pour favoriser l’émergence d’un projet spécifique à chacun. Cette pratique partagée des gestes sur la terre a permis l’exploration des frontières entre céramique, sculpture et forme utilitaire et rapidement tracé les contours de deux aventures parallèles.

Dans ses réalisations, Bettina Samson puise dans l’histoire de l’art, la culture populaire et les découvertes scientifiques, les éléments d’un récit, réel ou fictif où s’opèrent des allers-retours dans l’histoire de la modernité. Elle délimite avec précision les formes et les matériaux aptes à condenser ses recherches et compose des installations énigmatiques qui croisent des époques et des styles, des matériaux rares et des techniques inhabituelles. Elle a pu, à différentes reprises, utiliser l’argile dans son travail en procédant par amalgame et creusement de la matière à mesure que la terre s’absorbe. Dans ses modelages, la forme abstraite émerge par le creux, par le négatif, par l’espace qui s’insinue peu à peu et définit des galeries, des forces, des tensions et établit une dynamique à la limite de la cassure.

Lors de sa résidence, Bettina Samson a souhaité collaborer avec Lucien Petit et Hervé Rousseau car ils partagent tous les deux une approche sculpturale de la céramique. En libérant leurs réalisations des contraintes techniques de la terre, ils parviennent à réaliser des pièces de grandes tailles qui se tiennent dans l’espace et se confrontent à l’échelle du corps, du sol et de l’espace. En entamant un dialogue basé sur la réalisation de pièces variant entre propositions architecturées et spontanées, Bettina Samson, Lucien Petit et Hervé Rousseau ravivent cette traversée des frontières entre céramique et sculpture.

Bettina Samson
et Lucien Petit

Lucien Petit déploie une production céramique très architecturée montée à la plaque ou à la boulette. Il utilise souvent des gabarits dans lesquels la terre est estampée. Ces sculptures suggèrent des empilements de cellules, l’édification de tronçons de bois ou de piliers façonnés, pouvant être surmontés d’éléments géométriques rétablissant l’équilibre des objets. La terre est très chamottée, brute de carrière, incluant des grains de pyrite ou de silice qui fondent ou vitrifient à la cuisson et apportent à la pièce un aspect minéral, une palette de matière et de couleurs renforcée par une patine de terres colorantes frottées à leur surface.

Dans le prolongement de ces recherches, le projet commun entrepris avec Lucien Petit consiste à explorer un réseau de formes proches de l’architecture et de la sculpture moderne, très structurées et dessinées, jouant de lignes entrelacées à la limite de la fonction.
Les deux artistes ont d’abord travaillé à l’élaboration d’une simple ligne continue serpentine (Serpenteno et Serpenteno Meblo) montée à la plaque développant une structure alvéolaire, quasi pensée comme une pièce de mobilier sans fonction dédiée.

De la même façon, pour la table vase bipode (Kafotablo), conçue de deux cônes inversés assemblés par un plateau, il est question d’explorer la réversibilité des formes et leur capacité à osciller entre fonction et objet sculptural. En référence à des réalisations de Jean Lerat, mais aussi à une pièce de mobilier tripode réalisée en céramique par Isamu Noguchi et expérimentée également par la céramiste moderne Elisabeth Joulia, les deux artistes réunissent leur affinité pour l’architecture moderne biomorphique, mais aussi pour des formes d’habitacles vernaculaires explorant vides, pleins, structures, matières.

Dans l’esprit de Noguchi, ils travaillent des formes organiques qui débordent les limites et espaces habituellement attribués à l’art et se répandent dans les zones les plus ordinaires de la vie quotidienne.

Bettina Samson
et Hervé Rousseau

Les formes créées par Hervé Rousseau révèlent une grande énergie du geste. La terre est parfois foulée au pied; la gestuelle s’inscrit dans la matière. Les pièces réalisées s’apparentent à de grands blocs verticaux, parfois coniques, fermement ancrés dans le sol. Ces pièces sont très marquées par l’inertie, mais elles gardent l’empreinte naturelle de la trace de ses doigts, de ses pieds.

Dès son arrivée dans la maison d’Hervé Rousseau, Bettina Samson est saisie par la récurrence du mouvement de rotation présente dans la maison, les ateliers, le jardin, où tournent des moulins à vents et des animaux circulent sans arrêt. Ces mêmes effets de rotation semblent se prolonger naturellement dans la dynamique performative déployée par Hervé Rousseau quand il prépare la terre, la foule ou la tourne.

Partant de corolles que le céramiste a foulé au pied ou de petits pots qu’il a tournés, Bettina Samson a détaillé des fragments qu’elle a réassemblés et augmentés d’un travail de modelage. Fascinée par la puissance gestuelle qui émerge de ses pièces sculpturales et utilitaires, mais aussi de la relation qu’elles entretiennent étroitement avec l’environnement vivant de la mai­­son, Bettina Samson a réalisé un travail d’inflexions, de sillons et de façonnages improvisés en attribuant à chaque pièce une psychologie à part entière.

Différents personnages émergent ainsi de l’univers de Krazy Kat (comic strip américain des années 1930), à l’image des animaux du domaine: Hindi la jeune chienne, Lola la chèvre, Charlotte l’ânesse, le vieux chien Maca et la jument; rappelant dans leurs interactions les interminables variations autour des relations du chat sentimental Krazy Kat, de la souris Ignatz Mouse et du chien Officer Pupp.

Sophie Auger‑Grappin